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Souvenirs d’adolescence auprès de
Marie-Eugénie-Charlotte von Burenbach & de Louis-Francois-Stanislas-Marie de la Thouffe, nos charismatiques voisins.

Souvenirs d’adolescence auprès de
Marie-Eugénie-Charlotte von Burenbach & de Louis-Francois-Stanislas-Marie de la Thouffe, nos charismatiques voisins.

Préface.

Prémices de ma vocation, la passerelle.

Comme tous les enfants du monde , j’ai dû avaler beaucoup de soupe pour grandir, pour devenir sage et, pour devenir fort.
Comme vous vous en doutez, j’ai traversé plusieurs étapes précédent ma vie de majordome, dont cette fameuse période que nous franchissons toutes & tous: l’adolescence.

L’adolescence est cette mystérieuse et quelquefois douloureuse passerelle reliant ou séparant à la fois (nos) deux tranches d’âge.
C’est l’âge de la recherche de la vérité, après ce n’est plus qu’une question de compromis et de découvertes.

Nos voisins, le chevalier-colonel Louis-François-Stanislas-Marie de la Thouffe et son épouse la comtesse Marie-Eugénie-Charlotte von Burenbach eurent un rôle essentiel dans le franchissement sans trop de dégats de cette plateforme reliant mes tranches de vie.
Boute-en-train hyperactif, mes parents avaient permis et délégué à notre couple de voisins sans enfants, d’intervenir et de veiller sur moi à temps partiel.
Grâce à leur culture,à leur bonhomie, à leur attention , à leur patience, j’ai acquis des connaissances supplémentaires et complémentaires qui m’ont permis de m’élever beaucoup plus vite intellectuellement et plus intensément que mes 6 frères et sœurs.

Le colonel et son épouse ont toujours su répondre avec bienveillance à toutes les questions "existentielles" et intimes que l’adolescent se posait.
Je l’aborderais plus tard ..
Voici raconté avec mes fautes, avec des mots simples, une partie de l’histoire de cette charnière entre duvets et poils auprès de mes mentors.


1- L’histoire du colonel .

Juste après la fin de la guerre 39/45, ( je n’étais pas encore né ) avant que le Général de Gaule amnistie certains français pour avoir servi l'État Français du maréchal Pétain, nous recevions en Suisse des réfugiés, des retirés de force, des expatriés, des opportunistes, des résistants de la dernière heure, si je peux m’exprimer ainsi : des résistants de circonstance.

Quand la bise de l’épuration commença à souffler sur la France, ces personnes inquiètes pour leur tranquillité personnelle s’étaient infiltrées dans les colonnes militaires de la 1ère armée Francaise remontant la vallée du Rhône vers l’Allemagne, les infiltrés bifurquant vers la Suisse.

Pour servir l’histoire, le général en chef (de Lattre de Tassigny) avait négocié avec les autorités helvétiques et avec la croix rouge le transfert des blessés de son armée en Suisse pour y être soignés avec un immense dévouement, bienveillance et en toute et grande discrétion. ( merci particulièrement à la famille de Courten)
Le Chevalier-colonel de la Thouffe profita de cette opération pour s’y infiltrer, il avait été en sorte : un déserteur opportuniste.
Il s'honorait presque d'être le seul colonel de l'armée Française n'ayant jamais obtenu l’étoile de la légion d'honneur.
En revanche, il était titulaire de la francisque, de la croix de guerre de Vichy et autres médailles “pétainistes” distinctions et décorations difficiles à arborer (même en Suisse) en ces temps de R.P.F( rassemblement du peuple Français ).
Bel homme toujours élégant, le colonel était bien charpenté, il était affable, courtois, cependant il était toujours sur ses gardes.
Le colonel était une force de la nature, un authentique guerrier qui me confiera plus tard qu’il avait fait le mauvais choix, en choisissant celui de la collaboration.
Cinquante-cinq années après leur disparition, j’ai l’impression de les apercevoir, de les sentir auprès de moi, je les vois toujours et encore me guider, tant leur importance fut essentielle et, complémentaire au rôle de ma merveilleuse famille.
Taillé dans le granit, il avait tout comme mon père des bras puissants prolongés par de grosses mains, elles aussi noueuses et puissantes.

Je l’appréciais, je l’aimais à ma manière et sans conditions, je n’avais pas à mon jeune âge à porter de jugement sur son histoire personnelle et ses liens avec l’État Français d’autant plus que je n’avais pas encore été conçu à l’époque des faits.

Jeune capitaine, il avait été mal noté par son supérieur hiérarchique qui avait inscrit à l’encre rouge sur ses états de services : « officier suffisant et insuffisant à la fois»

Cette mention, cette apostille, avait hypothéqué toute sa carrière militaire le privant de toute concession de médailles dont : le fameux ruban rouge.

2- Le vétéran

Dernier rejeton d'une famille de militaires de carrière, chaque génération d’officier avait reçu la croix de St-Louis, le mérite militaire et ou l'étoile de la Légion d'Honneur, sauf lui.
Lorsque nous transportions en ville, le colonel épinglait quelquefois sur ses vêtements civils des croix de l'époque de la première restauration avec une certaine légitimité et distinction.
J’avoue que j’étais toujours émerveillé et fier de l’accompagner, lorsqu’il arborait ces croix et ces étoiles émaillées suspendues à des mouffettes rouges couleur de feu.
Il n’est pas dans la culture Suisse de se moquer des autres ni de les critiquer, cependant bon nombre de personnes pensaient en effet, qu’il était encore resté, qu’il vivait dans une autre époque, dans un autre siècle !
Je trouvais cela charmant .
Il avait épousé sur le tard en arrivant dans le canton, juste à la fin de la guerre, une aristocrate Suisse & veuve : Marie-Eugénie-Charlotte de Burenbach , une très ancienne connaissance familiale.
Comtesse de son état, elle était descendante par sa mère d'une "dynastie" de colonels propriétaires de régiments Suisses au service de France dés le XVéme siècle.
Quant à son père il fut à la tête d’une fameuse entreprise horlogère.


2 bis- l’union du couple.

Comme il fallait valider et légitimer immédiatement la présence du colonel en Suisse, le mariage avait été rondement mené, avec double bénédiction pasteur & curé.
En plaisantant le colonel affirmait sur le ton de la galéjade qu'ils étaient un couple: "bénédictine pasteurisé".
Madame vouvoyait Monsieur qui vouvoyait madame la Comtesse de la Thouffe.
C'était absolument charmant lorsque j’étais en voiture avec eux de les entendre s’exprimer.
Monsieur ne conduisant plus, il indiquait avec une certaine distinction et emphase à son épouse : «Marie-Eugénie-Charlotte tournez à gauche ! Marie-Eugénie-Charlotte prenez largement le virage ! Eugénie Marie-Charlotte prenez-garde à la traversée du village, Marie-Eugenie-Charlotte arrêtez-vous ici mon amie : nous sommes arrivés à destination » .
Je goûtais beaucoup leur compagnie …
C'était un couple distingué, des nobles de grande classe, des personnes toujours très élégantes, toujours coiffées de fabuleux couvres-chef qu’ils portaient, évidemment avec noblesse.
Maman disait qu’ils étaient toujours tiré à quatre épingles, j’adorais cette expression.
Érudits, cultivés, bons pédagogues, je les chérissais presque autant que mes parents.
Ils lisaient sans cesse, enfin tout ce qui se lisait, essentiellement des livres d'histoire, de généalogie, ainsi que le fameux almanach du messager boiteux.
L’almanach du messager boiteux avait été fondé en Suisse à la fin du règne de Louis XIV , de nos jours, il existe et paraît toujours .

Ils étaient tristes d'être les derniers rameaux, de la dernière branche.
J’étais un greffon tardif, mes parents m’avaient un peu prêté, j'avais donc deux papas et deux mamans complémentaires à mes merveilleux ascendants..


3- Le petit oiseau qui aime la confiture.

Ils m'avaient surnommé : "le petit oiseau qui aime les confitures " il n’est pas trop difficile de comprendre pourquoi ils m’avaient affublé de cet affectueux quolibet: je mettais fréquemment mon index dans tout les pots de confitures et autres pots comestibles et autres pots sympathiques et attirants pour un petit gamin ....
D'un comportement très spontané et naturel, ils remettaient sans cesse le petit-oiseau sur les rails de la convenance, du savoir-vivre & du savoir-être.
Charmeur, conscient de mon pouvoir d’enfant, j’avais quelquefois tendance à en abuser.
On me rappelait sans cesse qu’il fallait garder son rang, donc mon rang et ma place, que je sache sans cesse jusqu'où ne pas aller.
Enfant, j’avais en horreur toutes les barrières ainsi que de tout les obstacles, bref toutes les interdictions.
Heureusement que j’avais cinq frères, deux sœurs et quatre majeurs pour veiller sur moi, plus les parents de mes parent ainsi que mes fabuleux voisins.

Pré-adolescent, j'aimais beaucoup braver les interdits et jouer comme mes frères au grand garçon .
J’aurais traversé bon nombre de catastrophes si je n'avais pas été entouré par autant de vigilance et de bienveillance .
Je recevais au jour le jour une stricte éducation basé autour du savoir-faire et du savoir-faire et sur le jusqu’où ne pas aller.
Las de cette rigidité helvétique je présentais à mes mentors des lettres-patentes familiales que m’avait confié mon père, datant de six siècles établissant notre pédigrée et notre filiation jusqu’aux croisades.
La noblesse de notre famille était plus ancienne que celle de nos voisins mais nous étions sans sous, et très largement désargentés.
Ma famille paternelle, était de très anciens ci-devant nobles, ci-devant Français, ci-devant catholiques mais de la religion prétendue réformée.
Ces documents n’ont rien changé dans mes relations avec les de La Thouffe , ces derniers se bornant à me rappeler que la simplicité et l’élégance réunies était les seuls signes distinctifs de la vraie noblesse et: nous en restâmes là.


4- la vie militaire du colonel.

Le colonel avait eu autrefois sous ses ordres, des régiments de goumiers et de tabors Marocains.
Il parlait, lisait couramment l'arabe et le berbère, langues apprises lors sa participation à la guerre dite : du Rif, face à Abdelkrim au Maroc.
Lors de cette campagne franco-espagnole, l’armée lui avait conféré la médaille coloniale avec deux agrafes, la croix de la valeur militaire ornée de deux palmes, royaume d’Espagne lui avait concédé la médaille de la Paz et la croix d’Isabelle la Catholique.
Il connaissait parfaitement les civilisations ainsi que les mœurs nord-africaines, il savait comment s’imposer et se faire craindre par ses soldats.
Je lui dois mes connaissances et ma passion de la phaléristique.( étude et collection des ordres de chevalerie)
D’apres le Colonel, les troupes indigènes devaient être commandées fermement, avec une tolérance proche du zéro.
Si un homme, un soldat commettait un faux pas, il était rapidement neutralisé avec son colt, sans procès, sans jugement.
Après la fusillade, me disait-il, les guerriers se battaient pour dépouiller leur camarade exécuté.
À mon âge, les récits du Chevalier-Colonel attisaient ma curiosité d’enfant mais me remplissaient d'effroi ....
Je palissais, je tremblais : « il fallait donner l'exemple me disait-il, faut se faire respecter et se faire craindre par ces gens qui t'égorgeraient comme un mouton »
Pour me rassurer, il ajouta qu'il avait appliqué cette sentence uniquement lors de viols collectifs, de vols de bétails, de désertion, en aucun cas de sang-froid.
La guerre, c'est un permis de tuer officiel, délégué mais très peu contrôlé par les politiques affirmait-il.


5- Marie Eugénie-Charlotte de Burenbach.
Marie Eugénie-Charlotte n’était que grâce et distinction; elle s'entendait parfaitement avec toute ma famille, nous la considérions comme membre de notre lignée et réciproquement.
Dans la rue, dans les boutiques, dans les salons de thé elle était admirée presque adulée et toujours appréciée.
Née riche, noble, Suisse, elle était également sujet des Princes de Monaco de par son ascendance maternelle et descendante du colonel-baron Christophe Antoine Jacques Stoeffel.
Cet officier Suisse de l’armée napoléonienne fut l’un des premier colonel chef de corps (ex-de la garde Suisse) à servir à la tête de la légion étrangère dés son institution le 10 mars 1831.

Dès son plus jeune âge, on lui avait toujours beurré ses tartines, lavé et repassé son linge, manucuré ses ongles.
Elle n’avait jamais fait ni la vaisselle ni préparé un repas toute seule.
J’étais son enfant de "cœur", c’est elle qui me beurrait mes tartines au goûter, servies et accompagnées d’un authentique chocolat à la double crème de Gruyère et,parfumé à la cannelle.
Je revois et revis cette scène de : comment tenir et boire une tasse de chocolat et déguster une tartine élégamment …
Ils vivaient en compagnie de Cornelia, leur lady majordome originaire du canton de Saint Gall dans la Suisse "primitive".
Cornelia était une catholique fervente qui tenait absolument à réciter la bénédicité avant chaque repas.
Nous nous y soumettions toujours avec plaisir il ne fallait pas taquiner Cornelia sur la religion catholique apostolique et romaine.…
Loyale, dotée d’une immense bienveillance, d’une intégrité totale, d’une efficacité, et d’une élégance remarquable.
Elle bénéficiera de l’usufruit de la maison jusqu’à sa disparition.
Cornelia m’a enseigné le sens du plus que parfait et du petit détail.
Après le décès du colonel Cornelia servira quelques temps comme dame de compagnie d’une célèbre princesse épouse d’un ancien ambassadeur de France en Suisse..
Après le décès des "de la Thouffe" je reviendrais fréquemment partager des agapes et "brazuquer" la cheminée en compagnie de la merveilleuse Cornelia avec laquelle nous partagions beaucoup de confidences et de secrets.

La comtesse était Veuve, feu son premier mari était richissime et avait eu une orientation sexuelle différente, leur mariage avait été arrangé mais jamais consommé.
Son corps n’avait jamais connu de tendresse ni d’amour, ni de tendres baisers : j’étais son premier et son dernier petit oiseau d’amour.
Elle veillait à ce que je parle et lise un Allemand & un Français parfaitement parfait, et que je puisse exprimer facilement (sa propre expression) mes doigts au piano.

5-bis.
Les repas officiels de maman.

"Ce soir au dîner ou aujourd’hui à déjeuner : le Président René Coty ou de Gaulle de France ou le Président Hans Schaffner ou Roger Bonvin de la confédération et madame nous honorent de leur présence à table..."
C’est en ces termes que notre mère nous annonçait la présence de nos voisins à la table familiale. .
Lorsqu'ils venaient partager un repas avec nous, maman nous imposait d'être élégants, nous nous efforcions de bien tenir nos services, de nous comporter conformément aux usages et, nous adapter à un immuable cérémonial familial de bien-séance .

Lors de ces repas maman mettait "les petits plats dans les grands" suivant un protocole helvético-gaulois bien établi .
Bien que tous nos plats, petits ou grands, fussent largement ébréchés, mais propres, nous étions absolument ravis et toujours honorés de les recevoir, nous étions très fiers .
Toujours assis entre nos invités, c’est au cours de l’un de ces repas que se décida ma concession partielle à ce couple qui devint presque aussitôt, mes parents d’adoption à mi-temps ou à temps partagé.
Je devais avoir environ 11 ans.
Connaissant leur fortune, mes parents avaient exigé que je ne devienne ni un enfant gâté, ni un enfant avantagé..
Je devrais continuer à m’habiller avec les mêmes vêtements et les mêmes chaussures que mes 5 frères avaient portés avant moi, sans aucun privilèges ni cadeaux particuliers.
A (mon) cette époque les vêtements que nous portions étaient choisis par nos parents, nous n’avions pas notre mot à dire d’ailleurs, je ne m’en préoccupais pas et, c’était le cadet de mes soucis, la précieuse Cornelia veillait à réparer et quelquefois à customiser ( rapiécer) mes patchworks de vêtements discrètement et s’efforçait d’assortir mes chaussettes lorsque c’était possible.


6- Milady: la jument du colonel.

Un dimanche après-midi le colonel de la Thouffe demanda aux femmes de notre famille d'assister Marie-Eugénie-Charlotte, elle se trouvait "mal-en-point", c’était le début "d'une terrible et longue maladie dégénérative.
À cette époque, encore enfant je ne pouvais m’imaginer que les personnes que j’aimais pourraient un jour disparaître physiquement.
Toutes les fois que le colonel me parlait de son épouse, une grosse larme de tendresse épousait ses joues roses parfumées à l’eau de Guerlain ou de Fragonard.
Ils formaient un couple fusionnel qui appréhendaient leur séparation par la mort.
Ma présence donnait un sens tardif à leur vie.
Mes parents légitimes étaient suffisamment occupés ou préoccupés par mes six frères et mes deux sœurs, ils étaient soulagés de déléguer partiellement mon éducation à ce couple de merveilleux voisins.
Grâce à leur patience, à leur bienveillance, mon érudition, mon éveil étaient bien au dessus des jeunes de mon âge.
Je "poussais" plus vite et plus rapidement que mes camarades de classe, ils savaient efficacement canaliser mon énergie.
Ils supervisaient la révision de mes leçons, lectures, et cours de langues sans aucune complaisance eu égard à mon jeune âge.
Cependant, il existait de grands moments de récréations avec le colonel.
Certaines après-midi, après mes cours, j’étais auprès du colonel qui me faisait chevaucher milady, sa jument arabe.
Lors de ces récrés nous étions revêtus en cow-boy , en mousquetaire, en gentlemen, en hussard, en armailli, ou autre déguisement selon son humeur du jour.
Tous les ans, à la chandeleur, nous parcourrions le village déguisés en "tschäggättä" ( déguisements du carnaval du Lötschental) nous portions masques,costumes, cloches et tintamarres de circonstances pour chasser les mauvais esprits des vallées..

Auprès de mes mentors, mon âme d’enfant n’avait jamais le temps de se disperser, j’étais toujours entre des mains omniprésentes et magnanimes .
Un jour revenant du gymnase, je le retrouvais allongé avec une balafre sur le crâne, de son visage dégoulinait du sang.
Il se leva, tituba et me dit : "des bandits sont venus ...je me suis battu à la "hussarde" ! terrifié, je criais et pleurais comme un gosse effrayé, c’est alors qu’il essuya sa sauce tomate et, enleva sa fausse cicatrice.
Me souriant il me dit : sais-tu ce que disait le Général Antoine Charles Louis de Lassale ?
"Tout hussard qui n'est pas mort avant trente ans est : un " jeanfoutre."
Alors vous êtes un jeanfoutre ? répliquais-je spontanément ..« Ah mon Julot, tu l'aimes ton colonel ...me dit-il en souriant.
Il me fera des coups semblables encore longtemps, pratiquement jusqu’à son dernier souffle…même après....
A sa manière, il testait mon attachement !
Il est exact que je l'aimais d’un amour spontané d’enfant, mais cependant avec une certaine crainte et un très grand respect .
Le chevalier de la Thouffe disait qu'il fallait que je soies fidèle comme un chien, indépendant comme un chat, puissant comme un éléphant, c’était un étrange programme de construction pour un pré-adolescent.
Cependant, ma famille et lui, allaient contribuer et à construire cet étrange animal en acier trempé et damassé et devenir ce que je pense être devenu.

7- Les objets de vertu et les veillées.

Dès cette mise en scène à la sauce tomate, presque tous les mois en revenant des études, je trouvais des petits présents dans ma salle de jeux.
Il déposait des souvenirs de sa famille, des médailles, des ordres de chevalerie, objets de prix que je déballais et planquais aussitôt dans les doubles fonds de mes placards muraux.
J’ignorais à cette époque la valeur historique & pécuniaire de ces fabuleuses petites boites en métaux précieux, contenues dans de très beaux écrins.
Il ne m'achetait pas, il me remerciait d’être devenu un peu son fils adoptif, d'illuminer et d’enluminer à la fois les vieux jours de leur couple.

Lorsque ma famille organisait des veillées de quartier, nous nous réunissions dans la grande pièce du bas, rassemblés autour de l’immense cheminée de notre grande ferme Bernoise. Le colonel aimait y participer, aimait les animer et lire les versets bibliques comme s'il était dans le récit.
Il est vrai qu'il connaissait bien les orientaux et le bled, «c'est là que tout a commencé » disait-il.
Lorsque l'on invitait M. le curé et nos frères catholiques aux veillées œcuméniques, monsieur le curé avait du mal à admettre que les personnages du volume de la loi sacrée (livre Saint) étaient sûrement des personnes orientales avec la peau tannée voire très foncée, s'exprimant en araméen et ou en hébreux plutôt qu'en patois Bernois ou Valaisan !
Mon père en arbitre s’efforçait de toujours orienter le thème des veillées de quartier vers les convergences communes, plutôt que les divergences historiques issues de la réforme.
Lorsque notre oncle, ex-pilote-aviateur de la France Libre invitait son ami le Rabbin Ariel (son ex-camarade de guerre) on faisait salle comble.
Il prêchait d’une manière à la fois paternelle et juste, veillant sur une saine et juste convergence œcuménique des différents courants du monothéisme judéo-chrétien.
Grand-mère disait qu’Ariel était un des descendant du fils de Dieu, donc j’essayais toujours d’être assis très proche du fils de Dieu, près d’Adonaÿ-fils.
Après les veillées, au moment de nous séparer grand-maman paternelle nous disait toujours que nous étions tous des juifs convertis, que Yeshoua ( Jésus ) avait très certainement été le plus grand des grands Juifs.

8- la maison familiale du colonel et la 501 peugeot de mon père .
Inoccupée depuis le début du conflit 39/45, la demeure française du colonel était construite sur quatre niveaux .
Un rez-de-jardin, deux étages, surmontées par un immense grenier et de mystérieuses et grandes caves pleines de belles surprises pour un adolescent.
Dans le garage, dessous de grandes bâches poussiéreuses il y avait une dizaine de belles et très anciennes voitures datant des années 1920/30 toutes en état de rouler.
Dans le grenier, le temps avait suspendu son vol de plusieurs siècles:
Un voile ressemblant à une immense feuille de papier de soie englobait des centaines d’objets, meubles, malles, selles, outils et vielles armes: tout était figé.

La famille du colonel occupait sans discontinuer cette maison depuis le règne de Louis le quinzième.
Depuis plusieurs siècles dans sa famille on ne jetait rien, on conservait, on préservait tout.
Une vingtaine de malles étaient remplies d’uniformes, de coiffures, d’armes et papiers ayant appartenus à des officiers au service de souverains Français et étrangers.
Notre arrivée dans sa maison ne faisait pas vraiment plaisir, nous n’étions pas très chaleureusement accueilli par les gardiens de la propriété qui ne supportaient pas du tout notre intrusion, pourtant légitimée .
Mon père savait heureusement s’imposer, d’ailleurs nous avions la permission légitime d’y pénétrer, nous disposions de toutes les clés, nous n’avions de comptes à rendre à personne.
Lors de nos différents passages, nous déballions nos paniers repas, nous pique-niquions sur place, nous récupérions discrètement ce qui n'avait pas été pillé pendant et juste après-guerre, ainsi que ce qui avait été prudemment dissimulé dans les pièces secrètes, sous ou entre les marches d’escaliers.
C’était une véritable chasse aux trésors, un ravissement pour le petit oiseau que j’étais.

Quelques années années plus tard, j’accompagnerais la comtesse reprendre officiellement possession au nom de son époux, la demeure du colonel..
À cette époque, ma deuxième maman vivait ses derniers instant, je l’ignorais .

9- Ma colonie de vacances.

Dans les années soixante / septante, l’amnistie ayant été prononcée en l’encontre du colonel, il put reprendre entièrement possession de son manoir et s’y réinstaller.
Mes parents avaient permis au petit oiseau de s’envoler huit semaines loin de sa famille avec ses parents adoptifs.
Je vivais un rêve éveillé, j’étais l’unique pensionnaire d’une
colonie de vacances de luxe avec deux éducateurs superbement attentifs, j’étais heureux.
Je suis persuadé que ma métamorphose, mon franchissement de la passerelle, c’est produite cet été là.
Toutes les personnes que nous rencontrions dans les alentours étaient dubitatives : qui étais-je ?
Les de la Thouffe esquivaient habilement toutes les questions ainsi que toutes les réponses laissant planer le doute sur mes origines et mon lien familial.
J’étais devenu le petit prince "qu’on sort".
Avec innocence, je me prêtais au jeu de l’enfant mystère, le fils caché, pour corser l’énigme, nous échangions dans un dialecte alémanique.
Pendant ce séjour j’ai contracté un virus provoquant une fièvre de cheval.
La comtesse ayant été aide-infirmière pendant la guerre utilisant des décoctions amères, des ventouses, des cataplasmes me requinqua en quelques jours utilisant une médecine traditionnelle confortée par une cure d’huile de foie de morue et un cuillère tiède de vinaigre de cidre à jeun.
Elle bannissait tous les médicaments chimiques.
Je lui dois mon excellente santé actuelle.

Le chevalier et la comtesse eurent un rôle essentiel sur mon éducation, sur mes lectures, sur mes connaissances de l’histoire du monde, et de l’interprétation et compréhension au plus juste des textes sacrés monothéistes.
Ils orientèrent mes goûts, dirigèrent mon amour pour les belles éditions, les beaux papiers, les beaux objets, et l’art sous toutes les formes.
Ils possédaient le don de la transmission des connaissances, je n’en perdais pas une miette, j’étais conscient de mon privilège.
Cette initiation, le partage de leur savoir, cet enseignement, ont étés des atouts déterminants pour ma future carrière.
Il paraît qu’un cerveau vide est la boutique du diable , grâce à leur nourriture spirituelle mon cerveau était rempli de bien belles choses.
C’est lors de ce séjour que tout s’est déclenché, d’abord ma vocation, mon appétence pour les métiers de l’hôtellerie & de la restauration, du service au service des autres.
Plus tard, après mon service militaire, après mon stage à Londres confirmeront cette pré-disposition.
L’initiation, le partage de leur culture et connaissances me détacheront de la plupart de mes amis que je trouvais de plus en plus simplets et ignares.

12- Les objets de vertu.

Comme écrit plus avant, mes parents "adoptifs" étaient collectionneurs de fabuleux et merveilleux artéfacts dénommés: objets de vertu.
Ces petites œuvres d'art étaient toutes en or, argent, émaux ou d’un mélange de matières & métaux rares, certaines étaient serties de pierres précieuses.
Ces splendides boîtes, étuis, carnets de bal, tabatières, flacons à sels, ordres de chevalerie, étaient des présents, des récompenses offertes par des princes, et des souverains á la famille de la comtesse à titre de gratitude .
Ils possédaient également dans leur bibliothèque des éditions rarissimes , des éditions de têtes avec envoi, au tirage très très limité qu’il m’était interdit de consulter en leur absence.
Plus tard, quand j’entrerais au service de mon Monsieur celui-ci sera édifié par mes connaissances en bibliophilie acquises lors de mon adolescence après du colonel et de la comtesse.

Lors de la guerre 39/45 , des réfugiés avaient transporté en Suisse d'autres trésors que la famille de la comtesse avait "opportunément" acquis pour enrichir leur précieuse collection.
Le coffre-fort protégeait près de 300 pièces exceptionnelles.

Á quatorze ans, j'étais devenu presque incollable sur leurs origines, sur les orfèvres, les bijoutiers, les émailleurs, identifiant tous les différents poinçons de maîtres et d’états.
Je me souviens encore de quelques noms dont : Pierre Mané, Henry Clavel, P.André Montauban, Martin-Guillaume Biennais, P.Baraton, E.Lucien Blerzy, E.Nitot, Etienne-Hyppolyte Coudray, ainsi que les différents poinçons : à la tête d’oiseau, au coq, à tête de bébé, faisceau de licteur etc etc.
A cette époque je n'avais aucune conscience de la valeur historique et pécuniaire de ces pièces d'orfèvrerie.
Devenu adulte, je suis fier de posséder quelques uns de ces objets d’une finesse exceptionnelle .

13- L’histoire, revisité par le colonel.

La bienveillance de ce couple de presque parents m'a permis de mieux connaître et d'aimer la grande histoire et l'histoire en général, particulièrement les périodes couvrant les règnes d'Henry IV au désastre de Sedan en 1870, en Suisse, en France, en Europe.
Mon mentor aimait les périodes charnières, les périodes intrigantes, ces périodes troubles qui ont tricoté et quelquefois détricoté l’Europe dés le congrès de Vienne en 1815.
Ce congrès avait été un immense champs de bataille diplomatique et gastronomique, et avait permis la mise-en -avant la neutralité Suisse et celle de la Savoie.
Les bases historiques étaient quelquefois fondées mais quelquefois interprétées librement à la sauce du colonel. L’important était l’éveil et la curiosité que suscitait l’Histoire dans mon jeune cerveau.
Le colonel avait une passion toute particulière, pour les révolutions et transitions survenues en juillet: Juillet 1789, juillet 1815, juillet 1830, et juillet 1870, plus particulièrement la chute du II ème Empire.
Deux clichés sont restés ancrés dans ma mémoire dans le chapitre : pouvoir et trahison.
Lorsque Louis-Philippe 1er Roi des français arriva sur le trône, il suprima les régiments Suisses et institua la Légion Étrangère.
Les Suisses furent les premiers officiers et légionnaires à servir dans ce prestigieux régiment, sous le drapeau Français.
Un ancêtre de la comtesse y fut comme écrit plus haut, le premier colonel & chef de corps.
Dix-huit ans plus tard le roi sera chassé par la révolution du 22/25 février 1848 amenant l’éphémère deuxième république.
La légion étrangère survivra après sa chute pour devenir le fer de lance de l’armée Française actuelle.
Le Roi déchu, quitta Paris quelques jours suivant son renversement .
Entendant des fusillades, il se serait tourné vers son aide de camps et lui aurait murmuré :" La république a de la chance : elle peut tirer sur le peuple". ...


14- L’histoire revisitée par le colonel … suite.
- Napoléon III le Suisse.

La proclamation de la II ème république, ainsi que la chute de Napoléon III, étaient également des périodes énigmatique appréciées par le Chevalier-colonel.
Louis-Napoléon Bonaparte ancien élève de l’école militaire Suisse de Thoune, devenu Suisse et capitaine d’artillerie à Berne, il arriva en France, détenteur de la nationalité et d’un passeport Suisse, il quittera la France semble-t-il avec le même passeport !
D’après des témoignages il s’exprimait avec un très fort accent Suisse Alémanique et son épouse, avec des intonations très ibériques.
Donc la France fut dirigée par un empereur Suisse sans le savoir ?
Je me souviens de cette anecdote rapportée concernant la rencontre de l’Impératrice Eugénie et du gouverneur militaire de Paris: le général Louis-Jules Trochu fin juillet 1870.
Au début de la captivité de l’Empereur, le fameux général avait assuré à S.M. l’Impératrice qu’il serait auprès d’elle pour assurer la régence pendant la détention de l’Empereur.
Quinze minutes après son entrevue avec sa majesté à moins le quart, il soutenait à l’hôtel de ville de Paris la proclamation de la III éme république se faisant désigner plus tard président du gouvernement provisoire de la défense nationale.
Pour la petite histoire, Victor Hugo disait que Trochu était le participe passé du verbe trop choir…..

Après la proclamation de la république, l’Impératrice Eugénie quitta rapidement Paris accompagnée de sa gouvernante Mme Le Breton, grâce à la fidélité et à la complicité du Dr Evans dentiste de l’Empereur.
Mon professeur d’histoire me raconta cette anecdote qui se fixa à jamais dans ma mémoire.
Sa majesté, interrogeant sa gouvernante, lui aurait demandé :«quelle heure est-il ma chère ?» «Il est Trochu moins le quart votre majesté »
Cette grande dame s’éteindra en 1920 á l’âge de 94 ans.
Transporté en Angleterre son cercueil repose désormais auprès de ceux de l’Empereur et du prince impérial à l’abbaye de St Michel de Farnborough.
Lors de la cérémonie d’inhumation le cercueil avait été recouvert du drapeau britannique, le gouvernement français n’étant pas représenté à ses funérailles.

À cette époque, je me demandais comment Louis Napoléon Bonaparte avait pu devenir l’ami intime des Anglais alors que son oncle Napoléon Bonaparte fut toute sa vie l’ennemi intime des britanniques, jusqu’à la défaite de Waterloo !
Pour focaliser mon attention, le colonel me racontait bon nombre d’anecdotes; celles-ci attisaient mon érudition, aiguisaient ma curiosité suscitant beaucoup d’interrogations sur les retournements d’alliances des Bonaparte.
Plus tard, en m’instruisant, en lisant je découvrirais quelques exagérations partisanes du Colonel.
Lors de mes lectures actuelles, il m’arrive de découvrir l’authentique et la véritable vérité … sacré Colonel !



15- L’histoire revisité par le colonel …suite.
- Une paire de pères

Le chevalier était conscient que sa famille avait eu quelques religieux défroqués : "une paire de pères" dont certains furent père en religion et père de famille, il n’en était pas très fier.
Certains furent comme C.M. de Talleyrand des "déserteurs d’autels" durant la période révolutionnaire.
Il est probable que son mariage avec une parpaillote ( huguenote ) avait largement contribué à développer son œcuménisme ainsi que son ouverture d’esprit.
Il remettait sans cesse en question le camp ou l’appartenance religieuse, Adonaï, Yahvé, Dieu, l’Eternel, Allah, Zarathustra, Boudha, l’être suprême, le grand Architecte de l’univers ! trop de mots, trop de guerres pour désigner une seule et unique personne me répétait-il.
Pour orienter ma philosophie, de temps à autre il résumait que: la religion c’était tout simplement : d’être bien et de faire le bien, étais-je sa dernière bonne action ?

Au crépuscule de sa vie, il établissait un bilan mitigé, nous l’abordions de plus en plus souvent, admettant que le retour en arrière pour effacer ou confesser les fautes et solliciter des indulgences n’était plus envisageable d’ailleurs Luther était déjà passé par là…
Dés que mon âme quitta mon corps d’enfant pour entrer dans le corps de la pré-adolescence, puis de l’adolescence, nos échanges devenaient plus égalitaires et beaucoup moins formels.
Scolarisé dans le canton de Berne, dès mon retour chez moi, j’allais tout de suite dans ma deuxième maison auprès de mes autres parents envers lesquels j’avais une affection toute particulière.
Nos discussions s’élevaient constamment pour former le jeune homme, pour m’orienter vers la réflexion, la sagesse, la force, et la beauté.

16- L’histoire révisée par le colonel suite et fin.
- La réforme.

Protestante, la comtesse et moi évoquions évidemment et souvent la réforme et ses conséquences politiques en Europe.
La réforme de Luther avait été une révolution avant la révolution de 1789, mais que se serait-il passé si Henri IV n'avait pas été assassiné, si Louis XIV n'avait pas révoqué l'édit de Nantes, si Louis XVI avait écouté le protestant Genevois Jacques Necker ?
Il y aurait sans doute encore un roi en France.
Ce ne sont que des suppositions mais il est probable que la France serait certainement le pays le plus puissant d'Europe.

Les Français sont restés profondément attachés à la noblesse et aux titres, la preuve me disait-il, on continue mon épouse et moi de nous appeler par nos titres nobiliaires .
La révocation de l'édit de Nantes avait provoqué une immense hémorragie des cerveaux de France vers les pays du refuge.
Ma famille avait choisi de se réfugier dans le canton de Berne, elle avait épousé la Suisse, notre devoir était d’aimer, de servir, de respecter notre pays d’accueil sans gommer pour autant nos racines Cévenoles et ci-devant Françaises.

17- Le vieux manoir.

Comme je l’écrivais précédemment, les “’de la Thouffe” avaient enfin récupéré le manoir familial de Bourgogne.
Vers mes douze, treize ans, mon père m’autorisa de les accompagner dans cette mystérieuse demeure, c’était mon deuxième séjour.
Je m’investissais auprès d’eux afin que ce bâtiment retrouve son lustre d’antan, lustre d’avant la guerre.
Tel un chef d’état-major la comtesse dirigeait le chantier.
Nous commençâmes par faire un inventaire des disparitions à l’aide de photographies et inventaires en présence de la famille des gardiens.
Ce chantier auprès de la comtesse m’a permis de découvrir les priorités essentielles, l’ordonnancement des nettoyages, la remise en route des installations, les ramonages des cheminées, avec comme consigne permanente : de ne jamais se disperser et toujours veiller sur le clos et le couvert .

"Mon couple comtal" avait ramené de Suisse suffisamment d’argent en espèces pour payer les arriérés des salaires du personnel.
Les gardiens s’étaient soi-disant consignés des biens ( des artéfacts) à valoir sur la régularisation des arriérés de salaires dûs.
Le colonel avait convoqué solennellement les personnels, il y avait une très grosse quantité billets de banques posés sur la table ainsi que la liste des objets absents.
Très autoritaire il s’exprima: «chers amis voici ce que je vous dois, voici la liste des disparitions ! on se retrouve demain avec ou sans les gendarmes espérant que tout réapparaisse.
Comme par miracle, presque tout était pratiquement en place dés le lendemain.

J’ignorais à cette époque que j’allais hériter de cette splendide maison que je ne pourrais hélas conserver.
Cet été-là, j’ai découvert ma vocation, j’aimais les belles choses, j’aimais en prendre soin, j’aimais le raffinement, je me complaisais au service des autres, c’est dans ce contexte, pendant ce deuxième séjour que j’ai découvert ma vocation et mon premier plaisir charnel: les premières caresses de Giselle, ma première fois, ma "déniaiseuse"…
Lors de cette escapade , j’ai décidé d’être étudiant en hôtellerie et de suivre les cours de l’école hôtelière Suisse …après l’école de recrues.

La comtesse était rongée par une terrible maladie, cette terrible chose ressemblait aux dégâts que commettent les termites sur le bois.
Elle était "grignotée" irrémédiablement de l’intérieur, elle s’écroulait petit à petit mais elle résistait grâce à une médication traditionnelle et une alimentation rigoureuse dont le gluten et le lactose, les viandes étaient rigoureusement exclus.
Mes géniteurs m’avaient préparé à accepter et à affronter la mort d’où qu’elle vienne, quelle en soit sa forme.
La consigne familiale permanente était d’aimer, de louer, d’embrasser, d’entourer, de prendre soin, d’aimer sans conditions, qu’après : c’était trop tard.
Fille d’un divisionnaire de l’armée Suisse, la colonelle était descendante de maréchaux de camp Suisses au service de France.
Elle avait l’âme d’un soldat, avait l’esprit miltaire, elle était beaucoup plus stricte que mes parents, elle ne laissait jamais rien passer.
Finalement cette rigueur me convenait.
Un soldat ne meurt jamais, il disparaît au combat disait-on, je fus certainement son dernier combat de vie.

18- Poils et plumes.

Mes poils commençaient à percer, quelques rares éruptions de boutons surgissaient sur ma peau de velours, ma voix devenait rocailleuse, des cartes de Suisses apparaissaient dans mes draps.
Ces pollutions nocturnes, mes plaisirs solitaires rassuraient les femmes de la famille mais m’inquiétait .
Depuis mon aventure avec Giselle, je "poussais" vite, je commençais à prendre conscience de mon charme, j’adorais me mettre en scène, j’adorais mes longues cuisses, j’avais un corps de callipyge, j’adorais mon cerveau malin et coquin, j’adorais susciter l’envie, j’aimais que l’on me remarque bref: je devenais adolescent.
Je commençais à avoir une idée et un désir par seconde, il fallait me suivre et absolument me surveiller.
L’adolescent commençait à s’éveiller !
Peu fortunée, ma famille m’aidait à la mesure de nos très petits revenus.
J’avais presque une idée par minute, une créativité débordante, bref : j’étais un charmant bout-en-train avec un certain pouvoir de séduction trop prématuré, pas toujours contrôlé, quelquefois "fouillon".
Un peu tête-en-l’air et un peu confus, j’avais besoin de savoir, d’apprendre sans cesse, j’avais besoin de réponses franches et honnêtes, que se passait-il en moi ? Cette période est une période d’amour, de crainte, on aime, puis on aime moins ou plus ?
C’était une période de remise en question permanente et de doutes.
A cette époque après l’école de recrues nous étions déjà construits et prêts à affronter la vie.
Aujourd’hui l’adolescence des jeunes hommes se termine presque à 30 ans, leur maturité tarde hélas à s’exprimer pleinement.

19 - La confession, ma confession.

Un samedi soir, j’ai choisi de me confier au colonel qui, après ma confession, décida de me célébrer, de célébrer dignement ma précoce métamorphose .
Il informa mes parents qu’il me retenait à dîner et à dormir chez eux.
Après avoir pris son thé, la comtesse se retira se soigner, me laissant seul avec son époux.
Tu es devenu un homme, il faut célébrer dignement ce passage, ton corps d’enfant s’éclipse pour laisser place à un corps d’homme.
Le colonel leva son verre me dit: nous allons boire à la santé du jeune homme qui est né ce soir.
Cet automne-lā, j’ai connu au coin de l’âtre de l’immense cheminée, ma première ivresse.
Madame alitée, nous nous étions lui et moi installés dans d’immenses et confortables fauteuils chesterfield.
Pendant qu’il préparait ses mélanges de différents tabacs pour bourrer sa pipe, j’avais mis de très grosses pommes de terre dans les braises, comme on disait dans les cévennes: je "brasuquais". ( sans doute de braises..)

20 - La cheminée enchanté.

Le tourne-broche de la cheminée disposait d’une sorte de grille verticale double qui emprisonnait un carré d’agneau, une côte de bœuf bien persillées ainsi qu’une épaisse tranche de lard fumé maigre.
L’odeur était agréable et appétissante, notre dîner se dorait lentement à la chaleur des braises.
Il faisait bon, ça sentait bon, on n’entendait que le tic-tac discret du balancier du tourne-broche et le silence …

Comme je l’écrivais plus haut, le colonel et moi dégustions un hospices de Beaune 1954 dans d’immenses verres-ballon: des verres à vins de Bourgogne…
Le nectar était encore un peu trop à la température de la cave.
Dés son ouverture, la capsule de cire était intacte, le bouchon de liège était ferme et sain.
Le bouquet (l’arôme) était absolument convenable, nous attendions que l’ensemble des conditions soient réunies pour déguster ce merveilleux nectar.
L’ivresse, ma première ivresse se profilait.
Quelques gorgées plus tard, je sortais les pommes de terre des cendres.
Confîtes à l’intérieur, la peau était juste croquante.
Nous les coupâmes en deux, nous déposâmes un peu de fleur de sel de Guérande puis, un soupçon de moulin à poivre.
Au moment de servir, on les nappa d’une bonne couche de double-crème de Gruyère, et d’une tombée de ciboulette finement ciselée.

Un peu avant le dîner-souper, nous avions monté à quatre mains la béarnaise pour accompagner nos viandes.
Nous avions mis à réduire du vinaigre de vin blanc, des échalotes et de l’estragon.
Après avoir ajouté deux jaunes d’œufs, j’incorporais petit à petit le beurre de montagne clarifié.
La tiédeur du fourneau, et l’action du fouet, s’alliaient pour faire monter petit à petit la sauce béarnaise.
Les senteurs d’estragon se dégageaient & attisaient notre appétit.
On dressa notre dîner dans d’immenses assiettes de grés, très chaudes.
L’hospice de Beaune s’exprimait dignement et pleinement à la grande satisfaction de nos palais.
C’était un bonheur tellement simple, que je me suis senti tout d’un coup important.

20- Histoire d’O(ser).

Ce soir-là, on ne dîna pas, on dégusta, on savoura l’instant présent, j’ai franchi plusieurs fuseaux horaires d’un coup .
Je venais avoir treize ans et neuf mois, mes besoins d’adolescents devenaient prégnants, je grandissais de partout : tout grandissait.
L’alcool aidant, je posais mes questions spontanément.
J’osais demander au chevalier-colonel de m’aider à résoudre, à voir clair, mon conflit intérieur du moment, je lui demandais d’accepter de répondre honnêtement à des questions que tous les adultes esquivaient
Un peu gêné d’aborder cette sphère intime avec un jeune homme, par respect eu égard à mon âge, il feint de ne pas entendre.
Devant mon insistance, il me promit d’y réfléchir.
Le colonel avait été un champion de la "bagatelle” il s’en ventait raisonnablement.
Quelques jours après, il me permit de consulter, de regarder, sous son contrôle et, à doses homéopathiques le Kama Sutra et histoire d’O.
Ces images suggestives ont aidé à mon "déniaisement" sans faire de moi pour autant un as de la kekette.
Précoce, je voulais savoir comment donner et recevoir le plaisir, tel était mon conflit intérieur, comment ne pas décevoir, comment obtenir et partager l’extase équitablement….
En fait ces questions étaient tout à fait légitimes pour un ado, pourquoi le zizi était-il autant sacré ?
On allait vivre, uriner, recevoir et donner le plaisir, jouir, se perpétuer, avec un zizi qui devenait un pénis.
Pour moi, il n’y avait rien de plus légitime, rien de plus normal de s’interroger pour l’ado que j’étais et, des métamorphoses que je subissais.
J’avais vu mes sœurs pleurer lors de leurs premières règles, moi je rageais de ne pouvoir obtenir d’honnêtes et de franches réponses que mes soeurs avaient obtenues.
Dans les civilisations anciennes grecques ou latines les adolescents recevaient une initiation éveillant leurs corps au plaisir; l’arrivée du christianisme et d’autres religions ont tout figé transformant le plaisir en tabou ou en cachettes !
Il est dit que le Christ aurait été conçu sans péché, sans relations charnelles ?
est-ce authentique ? est-ce véridique ?
Le chevalier de la Thouffe apaisa mes craintes par des paroles logiques effaçant le sentiment de culpabilité éloignant mes doutes.
O mores o tempores ! me direz-vous ?
Ayant étudié ces livres "cul-tes", j’attendais impatiemment de revoir Gisèle pour passer de la théorie à la pratique.
Entretemps les cartes de mes plaisirs solitaires et de ma fertilité débordante , alimentaient toujours et encore les discussions des femmes de ma famille, je crois bien qu’elles étaient fières de leur petit mâle.


21- Le drame .

Un mercredi, le principal de mon institution vint frapper à la porte de ma classe m’invitant à le suivre.
Je compris à son visage qu’il se passait quelque chose de grave.
C’était la première fois qu’il me tutoyait et qu’il m’appelait par mon prénom.
Ce n’était pas le style de l’institution, ni son genre d’utiliser autant de familiarité avec un élève.
Il me conduisit dans son bureau pour attendre l’appel de mon père qui m’apprit que la comtesse venait de s’éteindre, et que le chevalier était inconsolable.
Une partie de ma vie d’enfant et d’adolescent s’effondrait.
J’avais beaucoup de mal à admettre la disparition définitive de ma deuxième maman.
Je ne croiserais plus son sourire, je n’entendrais plus la douceur de sa voix, plus de chocolat à la cannelle, son regard de tendresse disparaissait avant de rejoindre sa dernière résidence : l’avant dernier casier.
Inutile de vous dire ma détresse, mon impuissance à admettre la disparition physique et définitive d’un être cher.
Devant mes pleurs, mes papas convinrent et m’incitèrent à assister à la mise en cercueil, puis on me laissât quelques instants seul auprès d’elle.
Ce qui me faisait le plus de mal c’était d’admettre que c’était irrémédiable et définitif.
Arrivé chez moi, une veillée funèbre était en préparation ainsi qu’une collation d’ensevelissement pour les participants.
C’était la première fois que j’assistais à cette dernière étape
précédant la mise en cercueil puis l’accompagnement dans le caveau familial.
Je restais auprès du colonel blotti dans ses bras puissants l’entendant me répéter : je n’ai plus que toi, toi mon petit oiseau qui aime la confiture, je n’ai plus que toi , mes parents nous observant avec tendresse.

Le lendemain on re-ouvrit le caveau familial à l’intérieur d’un immense monument funéraire.
Le monument était divisé en une trentaine de compartiments ou casiers déjà occupés.
Dès l’ouverture de la porte, un souffle d’air frais sorti et me glaça jusqu’aux os.
Quelques marches plus bas je découvris une série de plaques gravées sur les façades de casiers scellés.
Gravé sur les marbres figuraient les noms, dates, titres, filiation et décorations obtenues au service de souverains étrangers.
Il y restait quatre cavités disponibles attendant les locataires perpétuels.
Quelques semaines auparavant, pressentant sans doute sa disparition prochaine, nous avions visité leur caveau familial.
Voici notre dernière maison mon petit oiseau, il y deux places pour nous et une place pour toi à utiliser le plus tard possible .

22- Le dernier voyage de mon mentor.

Je venais d’avoir tout juste seize ans, j’ignorais à cet instant que dans la même année quatre de mes proches disparaîtraient dans un terrible accident.
Après la disparition de son épouse, le colonel s’était installé presque à demeure chez nous à notre grande joie.
Revenant tous les mois pour les vacances, il était toujours au pied du bus de la poste pour accueillir son petit oiseau qui allait bientôt (s’en ) voler de ses propres ailes.
Lors mes séjours, nous retournions toujours dans sa maison pour partager avec toute ma famille un repas et apprécier sa prestigieuse cave en mémoire de son épouse.
J’aimais, je savourais ces instants essentiels pour un jeune homme en construction, je croquais à pleines dents l’harmonie, la bienveillance, cette euphonie était agréable à vivre et à entendre, j’aurais tant aimé que ces instants s’éternisent, mais hélas…

Un soir de septembre il n’était plus là, il ne serait désormais plus jamais là.
C’est monsieur mon papa qui était à la descente du bus ce soir là, plus proche plus affectueux que de coutume, m’apprît que vieux colonel était parti pour sa dernière mission en opération extérieure vers un orient éternel très très éloigné…

Dès cet instant , s’installât une relation d’égalité et de complicité avec mon père, nous firent tout ensemble et il reprit intégralement le contrôle de son fils.
J’assistais à la mise en cercueil, et nous participâmes toutes et tous la descente au tombeau puis, à la collation après ensevelissement avec nos voisins , ainsi que les gardiens de Bourgogne.
Mon père étant dépositaire de ses dernières volontés il lui appartint de régler la succession du colonel.
Comme souvent, les quelques rares ascendants et collatéraux ne purent se transporter pour l’accompagner au bout de l’impasse : nous étions sa seule famille avec Cornelia.
Après sa mort, je découvris diverses boites et coffrets dans les armoires et commodes de ma chambres, ainsi qu’un trousseau de clés avec de nombreuses instructions et recommandations écrites et enregistrées.
Nous avions nos petits secrets et nos petites cachettes.
C’est moi qui désigna le casier pour l’installer, selon ses dernières volontés "tête vers la sortie".
En ouvrant la porte du monument les employés du service funéraire découvrirent à l’intérieur de celui-ci, une caisse en bois portant mon nom écrit en grosses lettres.
Les employés municipaux me dirent qu’il m’avait laissé une caisse de vins à l’intérieur ...à mon intention...
Fidèle à son humour, il m’avait fait un dernier clin d’œil posthume.


avec mes meilleures salutations
best regards
mit freundlichen grüsse
cordiali saluti

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