RÉSUMÉ DE LA FIN DE L'ÉPISODE PRÉCÉDENT.
Ce jour-là notre repas fut bien particulier, c'était un " déjeuner-brunch-goûter-diner & souper" à la fois, qui se poursuivra jusqu'à 23 heures, entrecoupé par trois intermèdes musicaux & dansants typiquement basque.
Les sublimes produits du terroir basque entre océan & montagne inaugurèrent "gastronomiquement" et fastueusement notre séjour en pays Basque.
J'avoue que nous étions très très, mais largement imbibés par cette agape basque, par prudence, nous retournâmes à l'hôtel en taxis.
Je ne me souviens plus qui a aidé l'autre à retrouver sa chambre, tout était étrange..
Je récupérais notre véhicule le lendemain.
Episode 16
1-Le lendemain
Généralement, je me réveillais de bonne heure pour organiser mes journées dans le calme de la résidence. Nous séjournions dans un hôtel de classe internationale, nous étions en vacances: j'étais en vacances, j'en profitais.
J'avais deux missions, celle de préparer les vêtements de monsieur pour le lendemain, de confier notre linge sale à la gouvernante générale.
A sa demande, je l'assistais dans les gestes essentiels du quotidien, exfoliant avec bienveillance les poils rebelles de son nez, de ses oreilles, et de son cou.
Des anciennes blessures de guerre le faisait terriblement souffrir, j'étais seul à comprendre ses douleurs & l'unique "visiteur" de ses cicatrices.
Ce style de proximité n'était pas habituel pour un majordome, je "veillais" sur mon employeur, lui même s'occupait de moi avec une autre forme de bienveillance. La bienveillance entre nous était réciproque.
Je n'étais pas un cas isolé, lors de ma vie professionnelles j'avais rencontré des personnes dévouées envers leurs employeurs. La bienveillance était aussi réciproque.
Le temps sur la façade océanique pouvait très vite changer, alors je m'adaptais à ses caprices, la garde-robe variait au fil des mutations du temps.
Il m'était agréable d'entamer et d'achever toutes nos journées dans une constante sérénité. Monsieur avait horreur du téléphone, plus particulièrement des portables, tous les appels le concernant aboutissaient sur le mien.
J'étais incontournable, constamment en liaison avec ce petit boîtier sans cesse intrusif, gérant tous les appels. Je pense avoir été le seul majordome qui pouvait correspondre directement avec les grands patrons de l’industrie, de la finance et de la sphère du pouvoir.
J'apprenais beaucoup, je m'enrichissais intellectuellement en permanence découvrant, la complexité du monde des affaires.
Tout n'était pas transparent ni facile loin s'en faut.
2-L'officier d'ordonnance.
Nous nous retrouvions tous les matins avec le même plaisir, la même empathie, partageant un nombre important de secrets. Une belle complicité nous liait.
J'étais devenu son aide de camps & son officier d'ordonnance à la fois, une sorte d'assistant de vie de proximité.
De temps à autre il me posait une question simple, me demandait mon avis, mon ressenti d'homme de bon sens.
Je n'avais pas de dispositions particulières pour le monde des affaires au début cependant, lors de discussions sensibles, j'entendais mais je n'écoutais pas, ou l'inverse. Ma mémoire accumulait des formules et des mots.
Grâce à ma spontanéité, il a fait de substantielles plus-values.
Était-ce le flair ou les deux ? J'avais acquis quelques réflexes, j'avais acquis spontanément intégré certains mécanismes financiers, je m'en référais.
Monsieur savait me remercier généreusement lors de plus-values.
Il aimait taquiner ses amis richissimes en disant:" Jules m'a fait beaucoup gagner dans cette opération, grâce à ses précieux conseils.."En l'écoutant je comprenais un peu les rouages financiers, je les appliquais, mêlant mon bon sens au hasard et à la chance.
Il avait justifié mon omniprésence en quelques mots: " Jules est un majordome qui m'aide à réaliser de substantielles économies et me fait gagner beaucoup d'argent". Cet hommage me convenait tout à fait.
3-Mes collègues
Je croisais quelquefois dans les aéroports & dans les grands magasins, d'autres majordomes, valets de chambre, gouvernantes, chauffeurs; j'échangeais sur notre métier, nos places respectives sans jamais dévoiler le nom de la famille avec laquelle je vivais.
Il m'arrivait de leur dire que j'étais au service de la famille von Bidemstruk de Vadus au Lichtenstein.
Ah oui ! disaient-ils, on connaît ! famille qui n'existait pas évidemment...
Je les reconnaissais à leur tenue, à leur stress & à leur look.
Je mesurais chaque fois mon privilège bien que, mes semaines fussent de sept jours sur sept. Cependant, je jouissais d'une indépendance et d'une liberté totale partageant les mêmes conditions de vie que celles de mon employeur.
Bon nombre de mes collègues étaient au service de personnes tout à fait cohérentes et convenables avec des rapports cordiaux et fiables mais: strictement formels.
Quelques collègues avaient des postes uniquement alimentaires.
Ils ne vivaient aucune passion d'être au service des personnes dont l'humeur était cyclothymique.
Le couple vacillait, les enfants vivaient d'immenses carences affectives, il n'existait pas de gouvernance, ni consignes, ni rigueur.
Témoins d'une rotation de personnel ubuesque & déstabilisante, mes collègues devaient gérer le mal-être de tous essayant d'organiser la désorganisation, ce qui n'était pas mon cas.
Dés notre retour à la résidence, j'allais m'atteler au recrutement d'un assistant majordome pour me seconder: un (ou une) majordome brut de décoffrage de préférence.
4-Retour à notre séjour Basque.
Lorsque monsieur parlait des basques il s'exprimait en ces termes: "Ils ont le sens du beau, ils modèlent leur pays, sculptent leurs paysages en s'appliquant chaque jour de faire mieux que la veille".
D'une fidélité exceptionnelle, le peuple basque est vraiment un peuple attachant; leur double terroir est riche, complexe mais, tellement beau.
Notre séjour dans le pays basque s'écoulait hélas, bien trop vite.
Monsieur affectionnait cette province qu'il connaissait parfaitement pour y avoir à plusieurs reprises risqué sa vie pendant la guerre de 1939/1945.
Malgré son excellente santé, le poids des ans commençait à peser sur mon monsieur. En ma compagnie il voulait absolument me faire revivre et partager ses souvenirs, une sorte de pèlerinage aux sources de son héroïsme guerrier 60 années après les faits. Un pèlerinage sur les chemins de St Jacques de Compostelle et sur les chemins de sa mémoire.
Ma mission mémorielle des semaines précédentes prenait tout son sens conjuguée aux rencontres que nous allions faire.
Lorsque je lui suggérais le projet de revenir l'année prochaine avec l'ainé de ses petits fils, son visage s'éclairera :" tu organiseras tout cela avec le petit."
L'ainé des petits-fils était le clone de son grand père, il aimait l'histoire, les gens, la lecture, il aimait échanger, partager, c'était un étudiant brillant et élégant. Tout comme son grand père il était plaisant et courtois.
C'était convenu, nous l'amènerions sur les traces guerrières de son grand père, j'avais seulement à organiser le pèlerinage dans quelques mois...
5-Le déjeuner des anciens.
Le samedi, suivant notre fastueuse agape, nous sommes restés à l'hôtel
profitant de ce merveilleux soleil printanier au bar de la piscine.
Assis face à l'océan, nous attendions l'arrivée de quelques amis pour déjeuner.
Je voulais rester seul, les laisser entre-eux mais, mais insista afin que je soies à table.
La majorité de ses intimes m'appréciaient d'autres, goûtaient mal de devoir partager un repas avec un domestique, mais ils étaient rares.
Il avait un sens innée de la provocation, il ne se privait jamais pour les re-cadrer, mais toujours avec finesse.
Ce jour-là, il parla d'une de ses amies retrouvée trois mois après son décès. Il en mit une deuxième couche en précisant qu'il y avait des mouches...et que le corps n'était pas beau à voir...
Il y eut un vent glacial à table tout soudain. Comme par hasard, je devins un convive sympathique, le rang social s'était presque effacé.
The mystery Butler | Jules mountbrion